Remarques sur « la psychanalyse existentielle » de Claude Lorin

Publié le : 30 mars 20226 mins de lecture

Vient de paraître en octobre Cap sur Mars un livre étonnant et quelque peu provocateur de Claude Lorin dont le sous-titre est « psychanalyse existentielle et conquête spatiale ». D’abord un constat : peu de psychologues s’intéressent au spatial. Mais d’emblée l’auteur nous questionne : et si la psychologie avait un avenir dans le domaine du spatial ? Et lequel ? Dans la continuité de ses écrits précédents, Claude Lorin présente entre autres dans ce livre « la psychanalyse existentielle d’un astronaute » et la « psychanalyse existentielle d’un Martien ». Dans ce texte audacieux et plutôt iconoclaste, l’auteur cherche à montrer que la psychanalyse existentielle privilégie avant tout chez l’être humain son futur et ses projets comme étant plus déterminant que son seul passé même s’il est traumatique.
Le défi est de taille. Car les psychologues, dans leur majorité, et avec la mode insistante du « Post-traumatic Stress Disorder » survalorisent systématiquement les traumas passés dans l’histoire d’un individu. En outre, l’hégémonie universitaire de ce que Lorin nomme le « freudisme prédicant » laisse peu de place aux critiques d’une psychanalyse classique qu’il juge sévèrement comme étant « infalsifiable » selon Karl Popper et dont la méthodologie lui semble exclusivement « confirmatoire » .Ayant étudié l’ébauche sartrienne de la « psychanalyse existentielle » qui constitue le dernier chapitre de L’être et le néant, Claude Lorin fait une synthèse critiquable mais originale des écrits de Ludwig Binswanger, Karl Jaspers, Viktor Fränkel, Ronald Laing et de l’école humaniste américaine représentée par Fritz Perls, Erikson, Berne, Rogers, Watzlawick .De là résulte la psychanalyse existentielle dont il est le représentant en France. Les écrits de Lorin bousculent le courant freudien au profit des thérapies nouvelles.
Il s’inspire également de la Critique de la raison dialectique et, malgré sa formation initiale classique, il pratique résolument une forme de psychanalyse qui s’inspire plus de la « technique active » de Sandor Ferenczi que des écrits de Mélanie Klein ou de Françoise Dolto par exemple. Sa psychanalyse existentielle est foncièrement tournée vers la construction d’un Soi qui est amené de par son évolution à se choisir dans « une dimension du temps qui est n’est pas encore » (sic) mais existe sous forme de « projets » souvent vagues et indécis chez les enfants et les adolescents et qui doivent pouvoir s’affirmer ou se transformer. Le transfert qu’il prend en compte dans sa pratique clinique est fait d’idéaux multiples projetés et pas seulement d’un 2 Idéal du moi intrapsychique qui serait nécessairement l’image du père ou de la mère. Les idéaux évoqués sont des personnages célèbres, des people du showbiz, des écrivains, des artistes, des politiciens et dans son livre… des astronautes. On comprend dans ce livre que les phénomènes d’idéalisation se rapportant autrefois à Yuri Gagarine ou Buzz Aldrin touchent par exemple Thomas Pesquet en France, suscitent l’engouement chez les jeunes et déclenchent des vocations nouvelles.
Sartre est le premier à avoir critiqué la psychanalyse de Freud qui faisait dépendre la personnalité et l’existence d’un individu principalement de son passé. Il y avait selon Claude Lorin peu de place dans ce déterminisme pour un choix propre, indépendant et libre, d’un futur souhaité comme cause initiale attirant vers soi le vécu présent. Mais Sartre était écrivain et ne pouvait constater par lui-même qu’en effet les enfants, les adolescents et les jeunes adultes ont des rêves de futur qui les motivent et qui se concrétisent (ou non !) selon le degré d’opiniâtreté de compétence et d’audace du sujet.
Dans son dernier essai, Claude Lorin cite Sartre soulignant qu’une action peut parfaitement ne pas être que le simple effet de l’état psychique antérieur : la psychanalyse devrait donc selon l’auteur être prise en sens inverse : « Au lieu de comprendre le phénomène considéré à partir du passé, nous concevons l’acte comme un retour du futur vers le présent ». S’il est vrai que toute réaction humaine est a priori explicable, cette « compréhensibilité » devrait tenir compte du projet qui sous-tend l’action, un projet personnel d’un soi-même possible. La causalité finale est infiniment plus « déterminante » pour comprendre le déroulement d’une pensée ou d’une action. Dans Devenez astronaute ! (2017) destiné aux adolescents et Cap sur Mars : Psychanalyse existentielle et conquête spatiale (2021), Lorin s’intéresse aux astronautes et à ce qui les conduit vers un tel choix hors du commun. Il conçoit une psychanalyse dont les méthodes et techniques privilégient les projets et les choix libres d’un sujet qui cherche à se construire. L’originalité de sa pensée et de sa pratique lui a valu les éloges de quelques-uns et les critiques aserbes des représentants de l’establishment en France. La psychanalyse existentielle serait-elle en passe d’être reconnue ? Affaire à suivre !

                                                                                                                                                     Rédigé par : Nina CHIK

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